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Sans-abris : pauvreté et exclusion à Paris

Sans-abris : pauvreté et exclusion à Paris

Les sans-abris, qui représentent implacablement la pauvreté et l’exclusion à Paris, sont régulièrement comptés. Le monde rapporte dans un article du 11 février 2020 les chiffres de l’opération de comptage organisée lors de « La nuit de la solidarité » : 3 552 personnes sans-abris ont été recensées. Dominique Versini, ajointe à la solidarité de la Mairie déclare que ce chiffre est stable par rapport à 2019.

3552 sans-abris recensé à Paris en 2020

Un chiffre stable, un constat clair : l’extrême pauvreté est endémique dans une des villes les plus riches du monde. L’arrivée des migrants a certainement contribué à l’augmentation du nombre de personnes en très grande précarité à Paris, mais la pauvreté et l’exclusion ne sont pas un événement provisoire lié à une conjoncture singulière limitée dans le temps, c’est un état qui s’inscrit durablement dans la société.

Sans-abris: sociologie et géographie de la pauvreté à Paris

On a tous en tête une image stéréotypée de la personne sans-abri. Un homme seul et misérable qui représente, et doit représenter, la marginalité comme un échec total. Il peut aussi être le corps symbolique de la violence économique et du délitement du lien social. Il est très souvent alcoolique, déséquilibré, hors-circuit, irrécupérable… Bref, on s’accommode de sa présence comme d’une fatalité.

Dans la réalité, les termes les plus utilisés de « sans-abri » et « SDF » désignent plusieurs situations : familles récemment mises à la rue, travailleurs sans logement, bénéficiaires du RSA, jeunes en itinérance, étrangers européens et extra-européens, communauté de Roms, mineurs isolés… Certains dorment dans des centres d’hébergement, d’autres dans des parkings, des halls d’immeuble ou encore dans des voitures.

La majorité des sans-abris sont des hommes. Selon l’Observatoire du SAMU social de Paris, ils représentent à Paris 83,3 % de la population à la rue et ont entre vingt et soixante ans. Parmi ces hommes, plus de la moitié sont étrangers. Ils se concentrent dans le centre de la ville, aux abords des gares et sur de grands axes comme le tracé Stalingrad-Canal Saint-Martin-République.

Les plus visibles aujourd’hui sont les « migrants » venus d’Afghanistan, de la corne de l’Afrique et de l’Afrique noire. Ce sont en majorité des hommes jeunes qui espéraient rejoindre les pays du Nord ou le Royaume-Uni. Bloqués en France, certains perdent espoir et plongent dans l’addiction aux drogues : ils se regroupent principalement entre le XVIIIeme et le XIXeme arrondissement, dans le jardin d’Eole, sur la place de Stalingrad et autour de la station de métro Marcadet-Poissonniers. D’autres tentent de s’insérer en prenant, par exemple, des cours de français dans les bibliothèques. La bibliothèque Vaclav Havel de la rue Pajol propose de nombreux cours d’initiation. Un espoir pour ceux qui, lorsqu’ils se débrouilleront avec les bases de la langue, « sous-loueront » un contrat à des autoentrepreneurs des plateformes de livraison à vélo.

Un grand centre d’hébergement dans le quartier de la Porte de la Chapelle à Paris a ouvert en 2016, mais il peine à absorber le flux d’arrivants qui s’installent le long de la ligne de tramway 3b.

D’autres travailleurs étrangers embauchés en intérim, principalement dans le bâtiment, dorment sur le pavé. C’est le cas des travailleurs d’Europe de l’Est (polonais, roumains, bulgares, ukrainiens…). Ils ont pour habitude de se regrouper dans le quartier du Marais, près du métro Pont de Sully.

D’autres grands regroupements de nuit se tiennent aux alentours de la gare de Lyon.

La nuit, Paris se transforme, dans certains quartiers, en dortoir. Le contraste est alors saisissant : les vitrines du BHV et les arcades du Louvre deviennent de petites « chambres »  individuelles. La ballade culturelle et les après-midis de consommation deviennent des nuits de la misère.

Sans-abris à Paris: une vie d’exclusion

Sans-abris, Paris, XVIII arrondissement

La présence bien visible des  sans-abri peut paraître surprenante. Les habitants composent avec cette réalité crue, déstabilisante, en adoptant le plus souvent un comportement de tolérance polie, mélange d’indifférence et de compassion.

Dans des lieux très fréquentés comme les alentours du Louvre, l’écart de situation et la différence d’ambiance entre le jour et la nuit sont si déroutants que la ville se démarque par cette contradiction frappante.

Dans d’autres arrondissements il existe une véritable tension entre certains habitants et les « réfugiés ». C’est le cas dans le XXeme arrondissement, autour de la Place des Fêtes, où le lycée Jean-Quarré, rebaptisé « Maison des réfugiés » (qui est devenu un centre d’hébergement d’urgence d’Emmaüs) a accueilli 1 300 personnes depuis 2015. Le site Métropolitiques.eu relève que des associations de quartier étaient en désaccord avec ce projet de la mairie de Paris. En effet les conditions de vie des familles, qui sont pour beaucoup d’entre-elles issues de l’immigration, sont déjà compliquées et le quartier pouvait difficilement relever ce nouveau défi. Un autre quartier sous tension a nécessité l’évacuation d’un camp, celui de la porte d’Aubervilliers. La situation était indigne, dangereuse et intenable à la fois pour les migrants et pour les habitants.

Sans-abris à Paris: l’organisation en campements

Une autre particularité de la ville est la présence de grands campements de « migrants ». (La désignation change selon la terminologie militante : migrants, exilés, demandeurs d’asile, réfugiés). En effet s’il existe des regroupements d’individus dans d’autres grandes villes européennes, rien n’est comparable à la situation parisienne.

Dans son livre Qui dort dehors, paru en 2020, le professeur Julien Damon explique que cela tient à deux attitudes contradictoires, une fois encore, de la France à l’égard des migrations sur son sol. D’un côté le parcours administratif d’un migrant est très long et compliqué, ce qui maintient la personne dans une zone floue, et en tout cas tout à fait précaire. D’un autre côté, historiquement et culturellement, il existe une grande tolérance à l’égard de l’occupation des espaces publics et de leur dégradation. Ce n’est que lorsque les pouvoirs publics décident que la présence d’un campement n’est plus supportable, que de grandes opérations de démantèlement ont lieu, avec la violence que l’on sait.

Sans-abris à Paris: La mairie face à la pauvreté

Les parisiens, tout habitués qu’ils sont à cohabiter avec la misère, ne s’expliquent pas la pérennisation de la situation, qui plus est son évolution dramatique, autrement que par l’inaction des pouvoirs publics.

Evidemment personne n’est satisfait de la situation. La misère, tout le monde souhaite l’éradiquer. Ce n’est pas beau, ce n’est pas propre, et comme le précisait l’ancien Président de la République Valéry Giscard D’Estaing, personne n’a le monopole du cœur.

Alors comment le cœur de Paris fait-il face à cette insoutenable réalité ?

Autour d’Anne Hidalgo on soutient que la Maire se bat contre l’Etat pour parvenir à ouvrir plus de structures d’accueil, tandis que les opposants lui reprochent de ne pas avoir tenté de mettre tout le monde autour de la table pour discuter. Pourtant la Mairie n’est pas avare de propositions. A côté des traditionnelles maraudes, des restaurants solidaires sont ouverts dans les Centres d’Action Social. Il existe actuellement 23 000 places d’hébergements d’urgence.

Elle s’est également illustrée par l’ouverture de nouvelles « Halte femmes », en coordination avec l’association Aurore, qui accueillent dans la journée des femmes sans-abri et exclues de tout lien social. Une halte a notamment été ouverte dans l’hôtel de ville de Paris.

On peut aussi compter sur la bonne volonté des parisiens qui s’engagent dans les associations, ou qui se montrent désireux de le faire. Pour les encourager, la Mairie a ouvert un lieu dédié dans le XIIeme arrondissement, La Fabrique, où se rencontrent les associations, les personnes souhaitant venir en aide aux sans-abri, et les personnes à la rue. Ces rencontres/ateliers/discussions permettent aux participants de se renseigner sur les engagements possibles, de discuter avec des bénévoles et salariés des associations afin de connaître un peu mieux les modalités d’action envers les personnes vulnérables.

La pauvreté augmente en France et particulièrement à Paris. Il faut se défaire du cliché de la ville habitée par la grande bourgeoisie et les « bobos-bios- écolos ». Paris est une capitale de contrastes terrifiants où certains quartiers vivent en apnée sous la pression démographique, la dégradation de l’espace public et la misère.

Les volontés de la Mairie sont bonnes mais la question reste entière : pourquoi tant de gens sont-ils renvoyés aux marges ? Ne met-on pas un pansement sur une jambe de bois lorsqu’on ouvre de nouveaux centres d’hébergement ? Il est urgent pour les villes d’être à l’avant-garde des réflexions et des actions sur le plan du marché immobilier et des activités économiques afin d’avoir de vraies réponses sur l’intégration de tous à un projet commun.

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